Les stratégies communautaires contre la désinformation sur la poliomyélite au Soudan du Sud

Résumé

Cet article explique comment le Réseau intégré de mobilisation communautaire réussit à promouvoir l'éradication de la polio grâce à une participation active et concrète des communautés.

Les stratégies communautaires contre la désinformation sur la poliomyélite au Soudan du Sud

Au cœur du Soudan du Sud, un pays aux prises avec des problèmes sanitaires persistants, des efforts considérables, soutenus par des stratégies innovantes de participation communautaire, ont été déployés pour éliminer la poliomyélite. Le Réseau intégré d’agents de mobilisation communautaire (de l’anglais Integrated Community Mobiliser Network, ou ICMN), appuyé par les initiatives de changement social et comportemental de l’UNICEF, a joué un rôle déterminant pour atteindre des taux de couverture vaccinale remarquables s’établissant à plus de 95 %. Ce réseau compte plus de 1 500 agents de mobilisation communautaire et ses activités dépassent la seule promotion de la santé : il représente une approche transformatrice de la lutte contre la désinformation et de la promotion de l’appropriation communautaire dans certaines des zones les plus éloignées du pays.

Contexte

Le programme d’élimination de la poliomyélite du Soudan du Sud a réalisé des progrès considérables au cours des dernières années. Grâce à l’engagement renouvelé du Gouvernement et à une appropriation communautaire renforcée, la couverture du vaccin contre la poliomyélite s’est généralement maintenue à des taux élevés de plus 95 %. L’une des principales raisons en a été le déploiement de l’ICMN. Ce réseau compte plus de 1 500 agents de mobilisation communautaire, formés et déployés dans le cadre des initiatives de changement social et comportemental de l’UNICEF, et œuvre à mobiliser les communautés en dirigeant des activités en faveur de la participation de la société civile au niveau des payams et des bomas. Les actions de mobilisation sociale appliquent désormais une approche accélérée fondée sur les principes de la mobilisation en vue d’obtenir des résultats. L’ICMN vise à combattre la résistance à la vaccination contre la poliomyélite en adoptant une approche pluridimensionnelle, qui consiste à faire appel aux chefs religieux et aux personnes d’influence au sein des communautés, ainsi qu’à utiliser la communication interpersonnelle, les services de conseil, les réunions de mères et les plateformes d’écoute sociale des institutions religieuses et les établissements scolaires. Le succès de l’ICMN est attribuable à sa capacité à identifier les foyers réticents et à les convertir en promoteurs de la vaccination contre la poliomyélite. Très respectés au sein des communautés, les agents de mobilisation de l’ICMN (dont 30 % sont des femmes) sont des modèles en matière d’autonomisation des femmes. 

 

Le défi de la désinformation dans le cadre des campagnes de vaccination contre la poliomyélite

Entre mars et avril 2024, le Soudan du Sud a entrepris deux cycles critiques d’AVS ciblant les enfants âgés de moins de 5 ans pour leur administrer le nouveau vaccin antipoliomyélitique oral de type 2 (nVPO2). Cependant, cette initiative s’est heurtée à des obstacles considérables en raison de la désinformation, en particulier dans l’État des Lacs. Des rumeurs avaient circulé à la suite de signalements non vérifiés d’un décès lié au vaccin dans le comté de Cueibet, propageant la peur et la confusion au sein de la population.

La désinformation s’est rapidement instillée dans les esprits, appuyée par des déclarations alarmantes prétendant que le vaccin nVPO2 aurait été élaboré dans le cadre d’un programme malveillant visant à nuire aux enfants et à réduire la population. Ces propos suggéraient, sans la moindre preuve, que le nouveau vaccin affaiblissait le système immunitaire et provoquait une résurgence du poliovirus. De telles rumeurs ne font pas que répandre la peur, elles exacerbent aussi les doutes concernant la sécurité des vaccins, notamment au sein de certaines communautés religieuses.

La diffusion de ces allégations a entraîné des réactions hostiles à l’égard de la campagne de vaccination, et a grandement compromis la confiance et la participation de la communauté. De fausses idées se sont répandues, selon lesquelles les pays riches utilisaient les vaccins pour exercer leur contrôle à l’échelle mondiale et nuire aux pays moins développés. Une profonde méfiance s’est instaurée, entravant les efforts initiaux menés au titre des AVS et mettant en exergue la nécessité absolue d’adopter des stratégies solides pour lutter contre la désinformation et restaurer la confiance du public dans ces interventions sanitaires pourtant vitales.

Community health workers in South Sudan receive training and equipment for the polio vaccination campaign. These dedicated individuals are essential to reaching every child and combating misinformation on the ground.
Au Soudan du Sud, les agents de santé communautaire ont reçu une formation et des équipements pour la campagne de vaccination contre la poliomyélite. Ces personnes dévouées sont indispensables pour atteindre chaque enfant et lutter contre la désinformation sur le terrain.

Interventions de changement social et comportemental

Community engagement meeting with key influencers, Lakes State, April 2024
Réunion de participation communautaire avec des personnes d’influence clés, État des Lacs, avril 2024

Au total, 105 membres de l’ICMN ont été formés et déployés conformément au cadre de changement social et comportemental de l’UNICEF. Ces agents de mobilisation étaient chargés d’assurer, sur le terrain, le suivi continu de la perception de la vaccination et d’identifier les sources de désinformation à l’aide d’un outil intégré de collecte de données sur les retours de la communauté. L’ICMN a utilisé des canaux de communication interpersonnelle dans le cadre des activités menées à grande échelle, telles que des visites à domicile, des réunions communautaires et des échanges, en se concentrant tout particulièrement sur les foyers de résistance, par exemple certains groupes religieux (islam), les communautés pastorales nomades et les populations déplacées (personnes déplacées internes, personnes retournées après la crise au Soudan et personnes réfugiées).

Les actions stratégiques suivantes ont été mises en œuvre : 

  • Évaluation de la désinformation : Huit dialogues communautaires réunissant 69 participants, notamment des personnes réfugiées et retournées ainsi que des chefs religieux, ont permis de mener des discussions cruciales pour réfuter les idées fausses et apaiser les inquiétudes. Huit dialogues communautaires ont été organisés, réunissant 69 participants, notamment des personnes réfugiées et retournées, des chefs de campements, des chefs religieux et des dirigeants communautaires, pour amorcer le dialogue sur la poliomyélite. Le guide de dialogue communautaire a été adapté de l’outil qualitatif relatif aux facteurs sociaux et comportementaux, qui sert à évaluer les opinions et les ressentis, les processus sociaux, la motivation et les aspects d’ordre pratique. Les principales difficultés concernaient le défaut de connaissances sur les avantages de la vaccination, la forte confiance dans les remèdes traditionnels et religieux, le manque de confiance à l’égard de la vaccination et la désinformation liée aux allégations de décès liés au vaccin contre la poliomyélite. De plus, les dialogues communautaires ont également montré que l’écosystème de communication de la communauté du comté de Cueibet dépendait des canaux de communication interpersonnelle, et que les agents de mobilisation et les chaînes de radio communautaires étaient les sources d’information préférées de la population.
  • Écoute sociale sur le terrain : Les membres formés de l’ICMN ont été déployés de façon stratégique dans les six payams et trois bomas du comté de Cueibet pour recueillir systématiquement les retours d’informations et suivre les rumeurs. Le groupe restreint infranational pour la communication sur les risques et la participation communautaire, composé du responsable de la communication du programme élargi de vaccination, du coordonnateur pour le changement social et comportemental de l’UNICEF et d’un représentant des partenaires de la vaccination, s’est régulièrement réuni pour analyser ces données. Le groupe a accordé la priorité aux rumeurs les plus persistantes et les plus néfastes, et préparé des réponses soigneusement documentées. Ces réponses ont été diffusées sur les chaînes de radio communautaires locales et par l’intermédiaire d’annonces des pouvoirs publics, afin que les communautés puissent recevoir des informations exactes et d’actualité pour combattre la désinformation.
  • Utilisation des données de surveillance : Afin de cibler et d’intensifier de manière efficace les efforts de vulgarisation, les données de surveillance et relatives aux AVS ont servi à déterminer et à cartographier les zones à haut risque. Ces données portaient sur des profils de cas, les cas de paralysie flasque aiguë non liée à la poliomyélite, les foyers marqués d’un X et les ménages sans enfants éligibles. En particulier, des activités renforcées de mobilisation et de plaidoyer ciblaient les zones enregistrant dix foyers ou plus sans enfants âgés de moins de 5 ans éligibles afin d’y assurer l’instauration d’une couverture vaccinale complète.
  • Plaidoyer communautaire : Les agents de mobilisation communautaire ont organisé des réunions périodiques de mères et de fidèles pour promouvoir les efforts de vaccination contre la poliomyélite. En outre, ils ont collaboré avec les églises et les mosquées pour diffuser des communiqués en temps opportun et organisé des séances éducatives dans les écoles et dans d’autres lieux communautaires.
  • Mobilisation des principaux réseaux de personnes d’influence : L’ICMN a mobilisé des chefs religieux, des chefs de campements et des chaînes de radio communautaires afin qu’ils prennent une part active dans la diffusion d’informations positives et la lutte contre les fausses idées. Au sein des communautés, plus de 200 personnes d’influence ont participé activement à la diffusion de messages positifs et à des émissions visant à rectifier les idées fausses sur les chaînes de radio communautaires, en vue de renforcer la confiance et d’obtenir un soutien en faveur du programme de vaccination contre la poliomyélite.
  • Services de conseil et activités de mobilisation : Au niveau local, les membres de l’ICMN ont fourni des services de conseil ciblés aux ménages, notamment ceux qui s’étaient auparavant montrés réticents à la vaccination. Ils ont organisé des réunions hebdomadaires, dispensé des cours sur la poliomyélite dans les écoles et animé des discussions dans les groupes de mères. Ces efforts ont été complétés par des annonces régulières dans les mosquées et d’autres lieux de culte. Les agents de mobilisation ont également veillé à ce que les supports d’information, d’éducation et de communication soient affichés en évidence pendant les campagnes de vaccination, afin de maintenir des niveaux élevés de sensibilisation et de mobilisation au sein de la population en faveur des efforts d’élimination de la poliomyélite.

Résultats

An educational banner promoting polio vaccination at a local health center.
Bannière éducative de promotion de la vaccination contre la poliomyélite dans un centre de santé local.

La formation rigoureuse de plus de 105 membres de l’ICMN et leur mobilisation stratégique dans les efforts de lutte contre la désinformation ont considérablement amélioré la couverture du vaccin contre la poliomyélite dans la région, atteignant un taux impressionnant de plus de 95 % à l’issue des deux cycles des AVS. Cette réussite est en grande partie attribuable à la participation active de plus de 200 personnes d’influence au sein des communautés, notamment des chefs religieux et des dirigeants communautaires, qui ont été sensibilisés aux avantages de la vaccination et se sont engagés à encourager la confiance et l’acceptation dans leurs communautés respectives.

Ces personnes ont fait un usage efficace de leurs plateformes pour promouvoir des attitudes positives concernant la vaccination et lever les barrières liées à la foi et à la désinformation. Par exemple, elles ont animé des échanges ouverts concernant les vaccins dans le cadre de rencontres locales et diffusé 57 annonces dans les églises et les mosquées, renforçant ainsi considérablement la participation communautaire et l’adhésion.

Par ailleurs, les membres formés de l’ICMN ont prévu d’élargir la portée de leurs activités pour recueillir les retours des communautés concernant d’autres interventions vitales de santé publique menées dans l’État, afin d’adapter les stratégies efficaces utilisées dans le cadre de la lutte contre la poliomyélite et de les appliquer dans des initiatives sanitaires plus larges. Cette approche holistique permet non seulement de pérenniser les progrès accomplis vers l’élimination de la poliomyélite, mais aussi de renforcer l’ensemble du système de soins de santé au Soudan du Sud.

Conclusions et enseignements

L’ICMN a non seulement fait preuve d’efficacité dans la lutte contre la poliomyélite dans le pays, mais constitue également un point d’entrée pour réaliser des avancées d’ordre social et sanitaire plus larges. Le principe de participation communautaire, qui consiste à autonomiser les individus au niveau local pour leur permettre d’impulser le changement de l’intérieur, a joué un rôle clé dans ces réussites. Voici les principaux points à retenir et les effets plus larges de l’initiative de l’ICMN :

  • Élargissement de l’accès aux populations difficiles à atteindre : L’ICMN a largement contribué à atteindre des groupes d’ordinaire difficiles d’accès, notamment les personnes réfugiées et retournées, ainsi que les communautés pastorales nomades. En constituant un réseau de personnes informées et socialement responsables au sein des communautés, le programme a élargi l’accès à la vaccination contre la poliomyélite et à d’autres services de santé essentiels, renforçant ainsi la résilience globale des communautés en matière de santé.
  • Promotion du rôle des chefs religieux : En incluant les chefs religieux dans le cadre de plaidoyer en faveur de la santé, l’ICMN a étendu leur influence au-delà des conseils spirituels pour englober la santé publique et le bien-être social. Cette démarche a également permis de les positionner en tant qu’acteurs clés de la lutte contre les idées fausses et la désinformation, renforçant ainsi les initiatives de santé publique.
  • Renforcement de la confiance communautaire : Le succès de toute initiative de santé publique, en particulier des programmes de vaccination, dépend de la confiance de la communauté. L’approche centrée sur les communautés de l’ICMN montre qu’un changement durable n’est possible que lorsque les communautés sont mobilisées et que l’appropriation est encouragée de l’intérieur, et non imposée par des pressions exogènes.
  • Mise en œuvre d’interventions fondées sur des données probantes : En s’appuyant sur la recherche en sciences sociales, l’ICMN a utilisé efficacement des stratégies fondées sur des données probantes pour combattre et prévenir les rumeurs néfastes. Ces efforts s’appuient sur des partenariats solides avec les médias, les professionnels de la santé et les réseaux communautaires influents, ce qui permet de diffuser des informations exactes et de maximiser les avantages de la vaccination.
Local official administering the polio vaccine during the Polio SIA launch in South Sudan.
Un responsable local administre le vaccin contre la poliomyélite lors du lancement des activités de vaccination supplémentaires (AVS) contre la poliomyélite au Soudan du Sud.